Le géant américain Medtronic est soupçonné d'avoir corrodé le sommet de l'Institut Montsouris

Le géant américain Medtronic est soupçonné d’avoir corrodé le sommet de l’Institut Montsouris

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Une première enquête pour “corruption passive” vise le premier expert mondial des “dispositifs médicaux” et le chef du département de cardiologie au sein de l’établissement privé parisien. Les médecins qui ont été les premiers à tirer la sonnette d’alarme ont été licenciés. Le Défenseur des droits dénonce “un acte de vengeance”.

Le groupe américain Medtronic, qui figure parmi les principaux fabricants mondiaux de dispositifs médicaux, notamment cardiaques, est accusé par la justice française d’avoir versé 27 000 dollars à Christophe Caussin, chef du pôle cardiologie de l’Institut mutualiste Montsouris (IMM) à Paris, pour une formation médicale entachée d’irrégularités.

Une enquête visant le laboratoire médical ainsi que le médecin a été ouverte en mai 2021, pour “corruption passive” et est actuellement en cours selon le parquet de Paris a informé Mediapart. Les investigations font suite à une plainte déposée au mois de février 2021 par Mathieu Debauchez l’un des médecins employés par l’établissement privé à but non lucratif.

Ce chirurgien, qui dirige le département de pathologie cardiaque de l’IMM a alerté par courrier le 10 juin 2020 son directeur, Jean-Michel Gayraud sur des “dysfonctionnements très importants” dus à des “contrats financiers” que certains médecins ont signés avec des industriels. Il mentionnait notamment la firme Medtronic ainsi que Christophe Causssin.

En réponse, le directeur de l’IMM n’a pas épargné le médecin soupçonné de corruption et a licencié Mathieu Debauchez. Ce dernier a déposé un recours auprès du tribunal des conflits du travail et du médiateur des droits de l’homme.

Contactés par Mediapart et Mediapart, ni Jean-Michel Gayraud ni la société américaine n’ont répondu à nos questions ( voir notre boîte noire en fin d’article). Le docteur Christophe Caussin reconnaît avoir reçu 27 000 euros de Medtronic Cependant, il ne nie pas toute forme de corruption.

Après plus d’un an d’enquête après plus d’un an d’enquête Le Défenseur des droits Claire Hedon vient pour sa part de rendre, le 13 juillet, un avis extrêmement sévère sur les agissements de l’Institut mutualiste Montsouris. Elle attire tout d’abord l’attention sur “les tentatives de l’IMM d’entraver leur enquête”, refusant notamment à plusieurs reprises de fournir les documents demandés. Elle dénonce également le licenciement de Mathieu Debauchez qu’elle qualifie de “mesure de rétorsion” suite à ses avertissements alors que l’Institut aurait dû le défendre.

Par ailleurs, le rapport du Défenseur des droits déplore que l’institut “ait demandé des fautes professionnelles que le médecin aurait pu commettre”, exhumant notamment des plaintes pour “harcèlement moral” qui ont été déposées au cours de l’année 2016 par un anesthésiste travaillant pour l’IMM.

A l’époque, l’institut n’avait prononcé aucune sanction à l’encontre du Dr Debauchez. Le Défenseur des droits indique que ” le fait qu’il soit l’auteur de l’incident de harcèlement moral est sans rapport avec les faits qu’il déplore ” et que le motif de son licenciement était ” fondé non pas sur son style managérial, mais sur l’avertissement reçu “.

En outre, il relate que le Dr Debauchez qui est qualifié de lanceur d’alerte ” a produit les avis de plusieurs cabinets d’avocats, qui ont été portés à la connaissance de l’Institut, sur la base des allégations qu’il a critiquées et qui pourraient être qualifiées de faux et de corruption “.

Ces éléments “sont suffisants pour justifier que l’alerte de M. Debauchez porte sur des infractions et constitue une menace sérieuse pour l’intérêt public général” selon le rapport.

La formation est payée en l’absence de certains participants

Le 10 juin 2020, le chirurgien décide d’informer son équipe des pratiques d’un cardiologue dont il a la charge, Christophe Caussin, qui pourrait avoir des liens trop étroits avec Medtronic. Medtronic comme l’a rapporté la revue XXI.

A la tête du département des soins cardiovasculaires de l’établissement mutualiste depuis 2012 Mathieu Debauchez a signé au cours de l’année 2018 un arrangement avec le centre hospitalier territorial de Nouméa (Nouvelle-Calédonie). Avec son équipe de cardiologues et de chirurgiens comprenant Christophe Caussin, il intervient sur place pour traiter les patients sans avoir à les transporter en Australie ou en France et pour contribuer à la formation de ses collègues.

Or, lors d’une de ses visites, le chirurgien a découvert que la société Medtronic a engagé le cardiologue Christophe Caussin pour des sessions de proctoring “, c’est-à-dire de formation rémunérée. L’objectif est de comprendre comment implanter des valves aortiques percutanées. Il s’agit de la dernière technologie médicale qui permet de traiter les patients souffrant de maladies cardiaques sans avoir besoin de les opérer à cœur ouvert.

Les entreprises qui fabriquent ces valves, comme Medronic, offrent aux médecins des formations à d’autres professionnels sur la conception de leurs valves. Cependant, selon diverses sources, ni l’hôpital de Nouméa ni l’Institut n’ont été informés de ces sessions.

Or, les documents fournis par la société Medtronic à la direction de l’institut pour justifier ce cours présentent plusieurs failles. Il n’y a aucune preuve du consentement des patients, et certains des médecins qui prétendent être formés et évalués ne sont pas présents.

D’autres, interrogés par Mediapart, ignoraient que la session était une session de proctoring pour Medtronic. Un médecin est encore choqué d’être ” impliqué “ alors que son implication ne présente aucun conflit d’intérêt, affirmant qu’il n’a jamais participé à une session de formation pour Medtronic.

“Ma confiance a été abusée, je suis très malheureux”, dit-il. Le Dr Caussin m’a introduit dans une procédure interventionnelle. Cependant, il n’a pas été question de la formation requise pour Medtronic. Si cela avait été le cas, un certain nombre de règles, dont le consentement du patient, auraient été respectées. Or, ce n’était pas le cas.”

Christophe Caussin déclare à Mediapart qu’il “n’a pas réalisé que le patient devait signer un formulaire de consentement”. Mais, c’est exactement ce que stipule le contrat qui le lie à l’industriel Medtronic : ” Le consultant s’assure que le patient est informé et a signé un formulaire de consentement en écrivant qu’il souhaite traiter dans le cadre de l’éducation. ”

Certains médecins qui se sont inscrits comme participants à ce cours n’étaient pas eux-mêmes conscients qu’ils y participaient, c’était, selon le médecin, ” une maladresse de sa part. ” “Avec le décalage horaire, je n’ai peut-être pas été clair et j’aurais dû informer les médecins”, affirme-t-il avant de préciser : “Tout le monde sait que je suis formateur/producteur pour Medtronic.”

Pour Medtronic, je recevais 1 800 euros par jour. Je ne fais pas de travail pro bono

Concernant les omissions sur les formulaires d’évaluation utilisés par le médecin formé, ” c’est tout simplement parce qu’une fois arrivé à Nouméa, la situation n’est pas celle prévue Ce médecin n’est pas là, un autre médecin a pris sa place. Le patient n’est pas là puisque le chef de tribu a décidé de le soigner avec des plantes médicinales”, explique-t-il. “Au bout du compte, vous remplissez des dossiers pour des patients ou des médecins qui changent tout au long du processus et quand je reviens, je n’ai pas modifié les dossiers en soumettant mes notes d’honoraires.”

Au final, le cardiologue estime normal de fournir des bulletins d’honoraires pour des médecins qui n’étaient pas présents. Cette pratique a soulevé des questions sur la qualité de la formation que le cardiologue a gagné 27 000 euros. L’argent de Medtronic s’ajoute aux salaires perçus par l’établissement mutualiste. “C’est normal. Pour Medtronic, je recevais 1 800 euros par jour. Je ne travaille pas à titre bénévole”, répond-il. Mais il ne s’agit pas “d’acheter des ordonnances”, assure-t-il.

L’IMM est favorable aux lanceurs d’alerte, puis elle change de position

Mathieu Debauchez a au moins des doutes. Dans son avertissement de juin 2020 au directeur de l’IMM, il cite le “non-respect du code éthique et la “mise en danger des patients . ” Les contrats avec les industries que certains d’entre eux ont passés depuis longtemps affectent le fonctionnement de l’IMM “, regrette-t-il, avant de conclure ” Nous n’avons pas besoin d’un système d’exploitation qui nous est imposé par des médecins liés aux industries via des contrats financiers. ”

Deux mois après, le 28 août 2020, il était temps pour l’un de ses confrères, le Dr Emmanuel Lansac, de mettre en garde le directeur de l’institut. La formation proposée par l’industrie pourrait facilement s’étendre à une sorte d’achat de prescriptions, où le praticien gagne plus d’argent et les bénéfices du laboratoire “, rappelle-t-il en insistant sur le fait qu’il n’y a aucune compatibilité entre cette pratique et ” les principes moraux et non lucratifs des mutualistes “. Cette formation pourrait mettre en danger le projet de coopération qui se développe avec la Nouvelle-Calédonie, dénonce le médecin.

L’institut a d’abord soutenu ses lanceurs d’alerte avant de changer brusquement de position. En octobre 2020, le directeur a décidé de mettre sous tutelle l’unité dirigée par Mathieu Debauchez. En réaction, huit médecins ont remis une note, datée du 5 novembre 2020, au directeur Daniel Havis, président du conseil d’administration. Daniel Havis, et le président de la Fédération nationale des mutualités, Thierry Beaudet qui est désormais le président du Conseil économique social et environnemental (Cese).

Il est difficile de comprendre pourquoi seul le lanceur d’alerte, qui était de bonne foi, doit être puni en plaçant l’ensemble du groupe sous surveillance”, ont-ils écrit en demandant un rendez-vous avec le conseil d’administration “afin d’envisager une solution pour sortir de la crise actuelle”. Ils n’ont reçu aucune réponse.

Le 8 décembre en 2020 Le 8 décembre 2020, l’IMM a finalement licencié Mathieu Debauchez pour faute grave, prenant en compte ses avertissements comme portant atteinte à la crédibilité du Dr Caussin et de l’Institut. Le chirurgien n’étant pas infaillible, son employeur n’a pas été indifférent à soulever les allégations de harcèlement moral et physique à son encontre. En particulier l’incident, il a été agressé par un anesthésiste entre 2013 et 2012. Le parquet avait classé la plainte sans suite et le médecin l’a transmise à un juge d’instruction qui poursuit l’enquête.

Le tribunal des prud’hommes doit se prononcer sur la décision de licenciement le 25 août prochain. Mathieu Debauchez a également déposé une plainte pour “corruption” auprès du parquet de Paris, qui a ouvert une enquête au mois de mai 2021. Christophe Caussin a également déposé une plainte contre Mathieu Debauchez pour “dénonciations calomnieuses” en mars 2021.

Dans un courriel du 28 mai 2021 consulté par Mediapart, un fonctionnaire travaillant au cabinet du ministre de la Santé à Nouméa s’est dit choqué par la présence de formations comme celles menées par Christophe Caussin, soulignant qu’aucune autorisation officielle n’a été donnée.

Si nous avions autorisé des sessions officielles de formation à l’implantation percutanée de valves aortiques et à l’implantation de valves aortiques, cela ferait l’objet d’une note d’information de la part de la direction des affaires sanitaires et sociales et des affaires sociales de la Nouvelle-Calédonie, du centre hospitalier territorial , et du cabinet chargé de la santé au sein du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie “, indique le courriel. Or, cela n’a pas été le cas, puisque les autorités n’étaient pas au courant de la formation qui a été payée par Medtronic.

Malgré les enquêtes en cours, l’institut mutualiste ainsi que Christophe Caussin nient toujours les violations des termes du contrat avec Medtronic et le cardiologue.

Une valve qui attire toutes les convoitises

Quel est l’enjeu ? Un minuscule cylindre de métal qui mesure qui mesure entre deux et trois centimètres de diamètre, qui contient le tissu bovin ou porcin. La valve aortique percutanée, découverte au début de l’an 2000, a changé la face du domaine de la cardiologie. La valve est placée à travers une artère et est implantée sous une anesthésie locale qui dure moins d’une heure. Il n’est plus nécessaire d’ouvrir la poitrine du patient pour réparer un cœur endommagé et le risque de décès est réduit.

La procédure est appelée Tavi, qui signifie “percutaneous aortic valve implant”. Il y a environ 1 800 nouveaux patients à implanter chaque année. C’est une bénédiction pour les fabricants qui ont conclu des accords avec les autorités sanitaires françaises pour fixer le coût des valves à 15 400 euros, ce qui est beaucoup plus élevé que dans le reste de l’Europe.

Ce marché lucratif attire non seulement les grands fabricants Medtronic et Edwards, mais aussi les services de cardiologie qui étendent leurs activités en tentant de récupérer les patients implantables, au détriment des chirurgiens cardiaques spécialisés dans la chirurgie à cœur ouvert.

L’Institut mutualiste Montsouris implante l’équivalent de 350 valves aortiques chaque année. Parmi celles-ci, 70% sont fabriquées par Medtronic. Au niveau national, le pourcentage de valves Medtronic implantées est d’environ 40 %. Lors d’une assemblée du département de cardiologie de l’institut le 7 avril 2021, le chef, Christophe Caussin, a reconnu qu’il avait “une part de responsabilité importante” dans ce choix.

Il a dit avoir privilégié l’équipement du laboratoire en accord avec le directeur des achats de l’institut, ce qui a permis d’obtenir une “remise très importante” de Medtronic qui rapporte un bénéfice de 2 millions d’euros “chaque année”. Il ne cache pas sa joie de former d’autres médecins à l’utilisation de son modèle de valve auprès du fabricant.

Entre les années 2018-2021, Christophe Caussin a reçu près de 232 000 euros de la part des laboratoires dont 70 % proviennent de Medtronic spécifiquement pour des contrats de formation ou de conseil. Pour donner un exemple, Mathieu Debauchez et Emmanuel Lansac ont reçu respectivement 1 322 euros et 3 561 euros pour leur participation à des congrès.

“Le système mis en place par Medtronic, c’est de proposer du matériel médical ou derefaire un bloc opératoire, mais en échange, il faut implanter leurs valves, résume Mathieu Debauchez pour Mediapart. C’est un système pervers. ”

Ce n’est pas la première fois que Medtronic est accusé de profiter des médecins en les soudoyant. L’entreprise américaine ne l’est pas aux yeux de la population et des professionnels de la santé, notamment des cardiologues. Medtronic a inventé le premier stimulateur cardiaque alimenté par des piles ainsi que le premier stimulateur cardiaque sans fil et aujourd’hui, le chiffre d’affaires de l’entreprise est de 29 milliards d’euros.

Pour gagner des parts de marché, Medtronic a souvent franchi les limites de la loi. En 2006, l’entreprise a dû rembourser 39 millions d’euros au gouvernement américain pour avoir versé des pots-de-vin à des médecins. En 2011, l’organisation a été accusée de payer des médecins pour qu’ils mènent des études de recherche faisant la promotion des implants. Pour éviter les poursuites du gouvernement américain, elle a versé 23 millions d’euros.

Au cours de l’année 2018, Medtronic a été au cœur du scandale des “Implant Files”, qui a été révélé par le Consortium international de journalisme d’investigation (ICIJ). L’enquête, menée par plus de 250 journalistes à travers 36 pays, révèle entre autres la pratique de la société américaine Medtronic de financer certains investissements que les établissements de santé ne sont pas en mesure de réaliser, comme l’achat de salles d’opération avec ou la mise à jour des équipements les plus modernes.

Toutefois, cette pratique n’a pas de prix. Comme condition, l’accord avec Medtronic stipule un nombre minimum d’implants à acheter, comme des valves aortiques par exemple. Les enquêtes ont également révélé de graves problèmes liés aux dispositifs médicaux du fabricant, qui ont parfois entraîné la mort de patients.

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