Selon des chercheurs, entendre des voix est plus courant que vous ne le pensez
De la petite voix nous disant que nous ne valons rien à celle qui offre des conseils, l’expérience d’entendre des voix est plus courante que vous ne le pensez. On estime que 13,2 % de la population générale adulte en sont victimes, mais cette expérience porte encore beaucoup de stigmatisation. Vers qui se tourner quand on n’est plus seul dans sa tête ?
Depuis plusieurs décennies, le Hearing Voices Movement (HVM) international milite pour améliorer la perception de cette condition. Deux études récentes menées à l’Université de Lorraine dans l’est de la France ont évalué l’impact de ses groupes de soutien sur le système de santé français.
Changer de manuel
Vous entendez des voix et d’un seul coup, le marteau tombe : vous êtes fou. Comment pourrait-il en être autrement? Vous n’avez pas besoin d’un psy pour le dire. Toute notre culture nous enseigne que l’ego doit rester maître de sa propre maison.
En psychiatrie, entendre des voix en l’absence d’apports externes est assimilé à une hallucination, une expression claire de la psychose. Jusqu’à récemment, le simple symptôme de voix conversant entre elles suffisait à justifier un diagnostic de schizophrénie. Mais même les manuels de psychiatrie changent.
En plus de la psychose, qui est parfois diagnostiquée, de telles expériences surviennent spontanément dans des états de conscience inhabituels, par exemple un deuil ou un traumatisme. Les voix sont souvent accompagnées d’expériences paranormales telles que des visions ou des messages. Qu’arriverait-il à Jeanne d’Arc si elle consultait un psychiatre en 2023 ?
Moins seuls ensemble
Les chercheurs différencient désormais l’expérience d’entendre des voix de nos interprétations affligées de celles-ci. Depuis les années 1980, un nombre croissant de personnes ont avoué “entendre des voix”.
Tous ont réussi à puiser dans un éventail de ressources pour faire face à leurs expériences, sans nécessairement recourir à la psychiatrie. En se rassemblant, d’abord aux Pays-Bas, puis en tant que mouvement international, ils ont réalisé qu’ils possédaient des “connaissances expérientielles” qui pourraient aider d’autres comme eux à trouver de l’aide et à inverser la stigmatisation dont ils souffraient.
Certains cliniciens et chercheurs ont soutenu ce virage, dont le mot d’ordre est “rien sur nous sans nous”. Exit les hallucinations accoustico-verbales, place aux voix. Le changement de vocabulaire n’est qu’un indice du changement global de perspective, sur fond d’exigence croissante de démocratie sanitaire.
Changement inclusif
Le mouvement « milite pour faire tomber les modèles qui pathologisent ces expériences », explique Magali Molinié, psychologue et universitaire aux universités Paris 8 et Cornell, qui a cofondé en 2011 le Réseau français sur la compréhension de la voix. Ses membres préfèrent considérer que les voix sont réelles, porteuses de sens et liées au traumatisme, même si les avis divergent quant à leurs explications.
Parmi les alternatives promues par le mouvement figurent les Hearing Voices Groups (HVG). Il y en a 180 au Royaume-Uni seulement, et on les trouve maintenant dans 30 pays.
Ces groupes d’entraide n’ont pas d’objectif thérapeutique affiché. Au lieu de cela, ils agissent comme une microsociété, où les membres peuvent s’ouvrir en toute sécurité sur leurs expériences et les événements auxquels ils sont liés. Tout cela fait partie de la tendance à l’autonomisation des patients et des prestataires de soins de santé, qui a été recommandée par l’Organisation mondiale de la santé.
L’efficacité des groupes
Chaque HVG a sa propre façon de travailler et sa propre personnalité. Comment évaluer leurs avantages et leurs inconvénients ? Un questionnaire conçu conjointement avec des auditeurs de voix anglophones a été adapté en français. L’étude a comparé les effets des HVG avec ceux des groupes thérapeutiques ordinaires. Comme l’étude s’est déroulée pendant la pandémie de COVID-19, les groupes ont fonctionné lentement et seuls 20 des 50 en France ont terminé l’étude. Cependant, les résultats ont été positifs.
En particulier, les participants ont déclaré se sentir mieux dans leur peau, plus optimistes, moins seuls et moins anxieux et plus heureux dans l’ensemble. Les groupes leur ont fourni un soutien qu’ils n’avaient pas pu trouver ailleurs, ainsi que des informations utiles pour les aider à donner un sens à leurs expériences. La plupart d’entre eux se sentent désormais capables d’aider à leur tour d’autres entendeurs de voix. Un participant a même comparé le cadre aux “Alcooliques Anonymes pour les schizophrènes”. Bien que ce n’était pas le but, l’audition de la voix a même diminué pour sept des participants.
Ces rapports positifs sont-ils suffisants pour recommander de tels groupes ?
Différentes méthodes, résultats similaires
Le score de satisfaction totale était de 74 %. En parallèle, un groupe témoin de 14 personnes a suivi une formation métacognitive, une méthode visant à aider les personnes atteintes de psychose à devenir plus conscientes des schémas de pensée contribuant à leurs symptômes. Étonnamment, leur score de satisfaction était également de 74,5 %. Cela indique que les HVG sont perçus comme étant aussi efficaces que les pratiques scientifiquement prouvées.
Les HVG ont l’avantage d’attirer des personnes qui n’ont pas de diagnostic psychiatrique ou qui ne l’acceptent pas totalement. En l’absence de tels espaces, ces auditeurs seraient plus enclins à contourner le circuit médico-psychologique au profit de formes de soins non conventionnelles et mal réglementées, comme des médiums qui interprètent les voix comme un don de communication avec les morts.
Au final, la valeur des HVG ne réside pas tant dans leur capacité à remplacer les traitements existants qu’à les compléter.
Dans la tête des soignants
Quant à l’intégration des HVG au sein de la psychiatrie, nos recherches montrent que le domaine peut faire mieux. Sondant 79 personnels d’établissements français de santé mentale, la deuxième étude a confirmé que le personnel médical et soignant les perçoit largement de manière positive.
Cependant, il existe des décalages entre ce que sont les HVG et la façon dont les professionnels les perçoivent. Il y a une tendance inutile à les réduire à un simple service médical de plus, peu utile en termes de réduction des symptômes, indiqué uniquement pour les patients psychotiques qui entendent des voix.
Plus les professionnels se familiarisent avec ces structures, plus ils sont en mesure de s’affranchir de ces stéréotypes. Sous un nouveau regard, le fou d’hier devient un citoyen à part entière.